Le 21 octobre 2023, une cérémonie s’est tenue à Berny-en-Santerre, à la mémoire des capitaines Germain Haxaire, Louis Boutineau, et tous les combattants du 328e RI disparus les 6 et 7 septembre 1916. Notre adhérent Didier NAMONT en était l’organisateur.
Ce régiment est appelé le 2 août 1916, à participer à la bataille de la Somme dans le secteur de Belloy-en-Santerre. Après avoir aménagé les nouvelles positions, l’ordre d’attaque est donné le 4 septembre pour la prise de trois tranchées. Le 6 septembre, l’attaque doit reprendre, par surprise, sans préparation d’artillerie. L’ennemi, dissimulé dans une tranchée à contre-pente, balaie le terrain avec leurs nids de mitrailleuses. Les vides sont grands dans les rangs du 328e : 1 000 Poilus, tués, blessés, disparus…Vers 15 heures, le capitaine Haxaire avec quinze de ses hommes sont pris à revers par les Allemands. Il ordonne aux survivants de se rendre et poursuit seul le combat à coups de revolver. Touché à la tête et au bras, il s’effondre. Il avait 32 ans. Quant au capitaine Boutineau, disparu ce même jour, il allait avoir 45 ans.
Cette journée est consacrée à honorer la mémoire de ces ceux capitaines disparus, mais aussi tous les combattants du 328e. Les corps de ces officiers sont toujours enfouis dans la terre du Santerre à proximité de la ligne électrique actuelle. C’étaient l’ancienne tranchée des Hures et l’ancien bois de Damloup aujourd’hui disparus. Cette cérémonie sert à maintenir le souvenir de ces hommes qui ont connu l’enfer de la guerre et qui méritent que leur vie soit connue et reconnue…
Après le discours d’accueil du maire de Berny-en-Santerre, Didier prit la parole. Nous reproduisons intégralement ci-dessous son discours émouvant, qui a le mérite d’être très complet sur le déroulement de ces deux journées meurtrières :
« Bonjour, Mesdames et Messieurs dans vos grades et qualités,
J’ai une émotion particulière à m’exprimer devant vous ce 21 octobre 2023. Nous sommes ici rassemblés devant ce monument érigé en l’honneur des régiments qui ont participé à la reprise du village de Berny en 1916 lors de la bataille de la Somme. Ce monument est devenu si banal qu’on ne le remarque plus et pourtant il symbolise tant de souffrances et de sacrifices humains.
Ces souffrances, je les ai perçues lors des nombreux mois de recherches que j’ai effectuées. L’investigation a débuté lorsque Jean-Claude Haxaire est venu à Berny en 2018 pour retrouver « Le Petit bois »près duquel repose son grand-père, le Capitaine Germain Haxaire.
Cette information, il l’avait trouvée dans les documents mis de côté par sa grand-mère et presqu’oubliés pendant des décennies. Prévenu par la mairie de ta visite, Jean-Claude, j’ai pris contact avec toi, afin d’obtenir des précisions indispensables pour entamer les recherches.
Puis tu es venu chez nous avec ton épouse, Josyane, en septembre 2019.
Sur une carte, « le Petit bois » évoqué dans tes documents était en réalité « le bois Damloup » indiqué sur les cartes des tranchées de 1916 et aujourd’hui disparu.
Le 328e Régiment d’Infanterie devait attaquer en ligne avec le 147e à sa droite et le 272e à sa gauche. Mais ce dernier parti trop tôt à l’attaque, laisse un vide sur l’aile gauche du 328e RI et permet à l’ennemi, dissimulé dans des tranchées à contre-pente de s’infiltrer et de cerner nombre de combattants du 328e RI entre la tranchée des Hures et la tranchée du Typ. La 17e Compagnie du Capitaine Boutineau et la 18e Compagnie du Capitaine Haxaire sont encerclées et les survivants sont faits prisonniers.
Pour l’armée française, il n’y a plus de témoins directs de l’affaire à interroger.
Lors de votre venue, je vous ai conduits, Josyane et toi Jean-Claude, sur les lieux, la parcelle où repose ton grand-père, à proximité d’un pylône de la ligne électrique.
Puis, Jean-Claude, tu m’as fait découvrir les documents que tu avais apportés. Merci à toi, pour cette coopération fructueuse.
Parmi ceux-ci, il y a les nombreux procès-verbaux d’audition des témoins (qui sont) les combattants faits prisonniers le 6 septembre. Ces procès-verbaux ont été recueillis dans les camps en Allemagne et rédigés sous la tutelle du Comité International de la Croix-Rouge à l’Agence Internationale des prisonniers de guerre.
Parmi les témoignages des combattants, l’un d’eux m’a marqué particulièrement : il s’agit de celui de Paul Pechon, soldat dans la 18e Compagnie, prisonnier au camp de Friedrichsfeld en Prusse, Paul Pechon, après son retour de captivité, se maria avec la sœur aînée de mon grand-père et fut agriculteur à Fransart, à 15 km d’ici.
Je laisse à Jean-Claude le soin de nous faire-part de ce témoignage rédigé et signé le 10 janvier 1917.
Parmi les documents que tu as mis, Jean-Claude, à ma disposition, il ya aussi un échange de correspondances entre Mme Haxaire, l’épouse de Germain, et Mr Turpin, beau-frère de Louis Boutineau.
Le courrier adressé à Mme Clémence Haxaire, daté du 20 novembre 1916, dévoile la grande inquiétude de la famille du Capitaine Louis Boutineau qui commandait la 17e Compagnie et disparu aussi le 6 septembre dans l’attaque à Berny-en-Santerre.
Ces courriers expriment l’émotion ressentie par les deux familles qui veulent encore espérer et qui n’osent se résoudre à accepter le funeste destin de ces deux chefs de famille. Rendons hommage à ces femmes courageuses qui ont dû, seules, affronter les difficultés et assumer la responsabilité de la famille, les hommes étant à la guerre.
Les 17e et 18e Compagnies des Capitaines Boutineau et Haxaire étaient coude à coude au moment de l’attaque et durent affronter les mêmes ennemis qui les avaient débordés. D’ailleurs, dans le journal de marche du 328e RI, le nom de Louis Boutineau figure à côté de celui de Germain Haxaire dans la liste des officiers disparus le 6 septembre 1916 parmi les 1 000 hommes que le 328e RI a perdu les 6 et 7 septembre 1916 à Berny : tués, blessés, disparus, prisonniers.
L’hommage que nous rendons aujourd’hui aux Capitaines Haxaire et Boutineau et à leurs régiments est avant tout un hommage à tous ces soldats disparus.
Les corps des disparus n’ont jamais été retrouvés ou n’ont jamais pu être identifiés. Au total, ils sont 700 000 pour toutes les nationalités du conflit de la 1ère Guerre Mondiale, dont 250 000 français. Germain Haxaire et Louis Boutineau, vous êtes de ceux-là !
Vous rechercher a hanté vos familles pendant de longs mois !
Cette commémoration s’inscrit aussi dans le Souvenir de toutes les victimes de la 1ère Guerre Mondiale qui a duré 4 années, a provoqué la mort de 8 millions d’hommes, a englouti des empires et sapé les idéaux de l’Humanisme des Lumières.
Dans le beau film de Bertrand Tavernier « La Vie et Rien d’Autre » dont l’action se déroule au sortir de la guerre, le Commandant Dellaplane, submergé par sa tâche de comptabiliser les disparus et de renseigner les familles en quête, renonce finalement à son travail.
Il conclut :
« J’ai aussi renoncé à mes calculs. Cependant, j’ai pu auparavant établir que – par comparaison avec le temps mis par les troupes victorieuses à descendre les Champs-Elysées (environ trois heures je crois) et dans les mêmes conditions de vitesse de marche et de formations réglementaires – le défilé des pauvres morts de cette inexpiable folie n’aurait pas pris moins de onze jours et onze nuits ! ».
Souvenons-nous du courage de ces soldats, des souffrances endurées par toutes les familles.
Soyons vigilants et ayons la volonté de défendre, toujours, la liberté, la fraternité et la dignité humaine pour que cela nourrisse la connaissance et la réflexion des jeunes générations pour rechercher la paix.
Je terminerai en citant quatre vers d’un poème de Louis Aragon, qui combattit dans l’Aisne et en Champagne, il était de la classe 17.
« Déjà la pierre pense où votre nom s’inscrit
Déjà vous n’êtes plus qu’un mot d’or sur nos places
Déjà le souvenir de vos amours s’efface
Déjà vous n’êtes plus que pour avoir péri. »
Je vous remercie de votre attention. »
Suivirent les discours des représentants des familles Haxaire et Boutineau, du président cantonal du Souvenir français. Le général Jean-Claude Haxaire, petit-fils de Germain, dans son discours, n’a pas manqué de mentionner un extrait de la dernière lettre que Germain Haxaire écrivit à son père quelques jours avant sa mort exprimant sa foi dans son devoir de soldat et son esprit de sacrifice : « Combattre et vaincre pour assurer la vie de ceux qui nous suivront, combattre pour que notre passé, qui est notre orgueil, prépare l’avenir qui est notre idéal, il faut vouloir vivre et savoir mourir ».
Cette cérémonie s’est terminée par le dévoilement de la plaque dédiée à ces deux capitaines et leurs combattants.
Enfin, Didier a accompagné les familles à proximité du lieu où repose leur aïeul depuis ce 6 septembre 1916. L’émotion a été ressentie par toutes les générations présentes.
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